17 juillet 2007

Interview avec Alexandre Navarro


Alexandre Navarro est le fondateur du net-label Eko. Il est également musicien et auteur, depuis 2004, de quelques albums sur divers net labels. Personnage attachant et passionné, il nous parle ici de ce qui lui a donné envie de fonder un net label, mais aussi de sa formation de musicien, de sa manière de faire de la musique, de ses goûts...

Qu’est ce qui t’as donné envie de créer un net label ?
Pour être franc, je ne connaissais rien aux netlabels il y a 3 ans…
Petit retour en arrière donc : en 2004, lassé d’envoyer d’innombrables démos à des labels qui ne s’intéressaient pas à mon travail, et relativement « ruiné » par des envois intempestifs de courriers postaux, j’ai décidé de faire une petite page web sur laquelle deux de mes morceaux étaient en téléchargement, et c’est peut-être là que tout a vraiment commencé… par un effet "boule de neige". Je parcourais le web en ingurgitant des listes et des listes de labels, à qui envoyer des mails avec l’adresse de ma page, bien décidé à ne plus envoyer de démos physiques car persuadé de la quasi-absence de réponses en retour (en l’espace 3 mois j’ai dû envoyer environ 500 e-mails !).
Un jour, Dblue artiste et fondateur de la communauté dopedesign (devenue http://illformed.org aujourd’hui) met un de mes titres en ligne après m’avoir contacté. Et là, je remarque qu’il est téléchargé 500 fois en l’espace de quelques semaines… Immédiatement ça a fait tilt dans ma tête : d’autres personnes que mes amis écoutaient enfin mes morceaux ! Je ne veux pas en rester là, alors je continue à envoyer des e-mails avec l’adresse de dopedesign et la mienne, et c’est quelques semaines plus tard je suis contacté par Roger Stucki fondateur du netlabel suisse allemand realaudio.ch. Il veut en savoir plus… j’upload mon album "Please, sit down" sur leur serveur : il veut le produire immédiatement. Il m’explique alors les tenants et les aboutissants de son netlabel et ce qu’est la license "creative commons". J’accepte après réflexion sans savoir vraiment où je met les pieds, au feeling disons. C’est à partir de ce moment là que je me suis immergé véritablement dans la scène netaudio : premières chroniques allemandes (de:bug, modern klangunst), premier live à l’étranger, et quelques 3000 téléchargements pour ce premier opus. De là j’ai signé sur d’autres netlabels. Voilà un peu mon histoire…
Et donc par la suite j’ai créé mon netlabel après ma rencontre avec Sacha Vojvodic (à la tête du projet Letna et boss du net label Standardklikmusic), qui m’avait contacté pour un ep. On est devenu amis et il m’a poussé à créer eko car au départ j’hésitais… C’est vrai que je trouvais qu’il y avait trop de techno sur les netlabels en qu’en matière d’ambient c’était assez pauvre ; d’autres part je ne connaissais, à part celui de Sacha, aucun netlabel français. Je voulais qu’eko donne une chance à des artistes de qualité qui méritent vraiment que l’on parle d’eux.

Quels rapports entretiennent les netlabels entre eux ? Y a t-il une communauté ?
Je crois que l’on peut dire qu’il y a des écoles, surtout électroniques d’ailleurs (tec, ambient, electro-acoustique, tous les "...tronica" et le dub façon R&S) et une sorte de communauté « tacite ». Mais en ce qui me concerne, elle n’est pas spécialement affirmée et je ne souhaite pas particulièrement la développer.
Je n’aime pas trop les "communautés" et préfère l’idée fraternelle de l’entraide et de l’échange tout en conservant chacun nos spécificités et notre indépendance. Et puis, je ne fais pas du "netaudio" une fin en soi, mais plutôt un moyen, un outil, permettant de parler de la musique indépendante et de la promouvoir.
Bon, je ne te cache pas que nous avons des amis, comme les internautes peuvent le voir sur les liens du site d’eko, mais ce n’est pas pour autant une communauté comme on pourrait l’entendre.

Quels sont les liens entre eko et Standard Klik Music ?
Sacha est devenu un ami après qu’il m’ait contacté pour un ep. On ne se connaissait pas du tout mais étant tous les deux sur Paris, on s’est rencontré et on s’est rendu compte qu’on était d’accord sur beaucoup de choses ! Ca nous a décidé à nous associer afin de créer ensemble un nouveau label, SEM, qui démarrera début 2007 et avec lequel nous produirons des artistes sur support cds/mp3 payants et peut-être même aussi des dvds si on a assez de sous ! malgré tout, nous conserverons nos deux plates-formes gratuites qui sont de bons tremplins pour tous les artistes que nous aimons et souhaitons aider.

On remarque aujourd'hui que des choses excellentes (notamment dans la musique électronique ou électro-acoustique) paraissent sur des netlabels et pourraient être largement signés sur des labels traditionnels. Cela veut-il dire que les artistes préfèrent être diffusés plus largement, plus facilement et gratuitement grâce au net plutôt que de prendre le risque de ne vendre que quelques disques en étant sur un label classique..? Ou est-ce avant tout une question de philosophie, d'idée de "partage de la musique", etc... d'après toi ?
Ca dépend des personnes... comme je te le disais, je ne suis pas un fanatique du "creative commons" du gratuit à tout prix, etc… il faut penser aux artistes et aux producteurs qui travaillent et qui ne vivent pas hors du temps et de la société actuelle.
Je pense que rémunérer un artiste c’est important. Après il faut peut-être repenser les modes de rémunération qui, pour la musique indépendante, sont très faibles ; d’où l’intérêt d’insister sur la promotion afin que ces artistes puissent se produire sur scène et se faire connaître.
Sinon, je pense sincèrement que peu d’artistes se disent « je ne souhaite être que sur internet gratuitement », et puis le support physique à toujours son effet… en tout cas pour ma génération. Les 15-20 ans, à mon avis, s’en foutent un peu et le cd va peut-être devenir un peu comme le vinyl il y a 20 ans… Reste que la diffusion internet est indispensable pour la musique indépendante aujourd’hui. Il faut donc trouver un équilibre entre payant et gratuit sans tomber dans le fanatisme d’un côté comme de l’autre, c’est une sorte de nouvel artisanat électronique où chacun peut proposer son petit "chef d’oeuvre". Finalement, on joue le rôle des maisons de disques à leur début, lorsqu’elles laissaient l’artiste se découvrir lui-même et évoluer avec son travail, sans la pression de vendre obligatoirement tout de suite.

Penses-tu sortir un jour un album sur un label traditionnel ?
Bien sûr, j’ai eu des propositions et ce ne sera pas forcément sur SEM… L’avenir dira…

Comment es tu venu à la musique ambient ?
J’ai essayé de nombreux styles, et étant guitariste à la base, j’ai joué dans beaucoup de formations, du rock à la chanson française… mais un jour, un copain vendait sa groovebox mc303 car il n’y trouvait pas son compte, et du coup cette petite machine a vraiment révolutionné mon approche de la musique car, pour la première fois, en complément d’un magnéto 4 pistes, d’une pédale delay et d’une guitare, je pouvais expérimenter plein de choses très spontanément et sans complexe. J’ai vite compris que j’adorais composer de l’instrumental et « bidouiller » les sons. C’était autour de 1995 à l’époque de mo wax, ninjatune, warp, au moment où le sampler est devenu instrument de composition central en musique électronique. Petit à petit, ma musique a pris forme…
Un ami de la fac s’était inscrit à un concours pour entrer en classe de musique électroacoustique au CNR (conservatoire national de région) de Bordeaux et m’en à parlé, il m’a un peu briffé et fait écouter des compositeurs car je n’y connaissais rien ! Je trouvais ça à la fois étrange et très excitant. J’ai donc passé le concours et on a été pris tous les deux ! C’était là pour moi du délire total ! On avait accès à des vieux synthés korg, aks, kobol etc… magnétos à bande revox, des mac G3 avec pro tools (j’avais par d’ordinateur à l’époque)… j’ai beaucoup appris sur le son, j’aimais beaucoup l’approche concrète de Michel Chion ou encore Bernard Parmégiani, deux compositeurs (membres du GRM : Groupe de Recherche Musical fondé par Pierre Shaeffer en 1949) très différents mais dont l’approche "sensible" plus qu’intellectuelle m’a particulièrement touché. J’invite les compositeurs à écouter l’opéra concret de chion ou encore de natura sonorum de Parmegiani… Par la suite, je me suis un peu lassé de l’approche du son, pure et dure, car j’ai toujours aimé la mélodie et c’est pourquoi je me suis concentré à nouveau sur des choses plus accessibles.

Comment travailles–tu, Comment composes-tu ?
Je pose mes idées très vite car la majorité du temps les choses réfléchies ne me plaisent pas. Je prends plus de temps pour le montage et surtout le mixage.
J’enregistre des guitares "ambient" que je traite avec mon sampler, j’aime beaucoup les sons concrets et naturels aussi. J’ai deux synthés de prédilection. Le tout fonctionne dans l’ordinateur.
J’essaie, lorsque je réécoute mes titres, d’être le plus distant possible par rapport aux morceaux, en laissant passer du temps, comme s’ils venaient d’un autre artiste. J’aime que les morceaux me donnent envie d’en composer d’autres, exactement comme lorsque j’écoute un artiste qui me plait et qui me donne le désir de m’y mettre à nouveau. Bizarrement ce sont parfois des artistes aux styles très différents, à mille lieux de l’électronique, qui me donnent envie de faire de la musique.

Qu’est ce que tu essaies de faire passer à travers ta musique ?
Je crois que c’est prétentieux d’avoir un message, mais j’essaie d’être au plus près de ce que je ressens, ce que je considère beau et qui pourrait éventuellement permettre à d’autres de ressentir une forme de « beauté » ? une sorte de nostalgie positive et ouverte… Le plaisir de se sentir paisible et serein.

Ta musique est utilisée pour des projets artistiques, des expositions, etc... Peux-tu nous en dire plus à ce sujet ?
J’ai collaboré à différents projets dont le plus « important » a été la création d’un oeuvre sonore pour le scénographe et architecte Frédéric Druot pour une commande du FNAC (fond national d'art contemporain) Less and More, 20 ans de design. J’ai travaillé aussi avec le vidéaste et designer Sam Graf pour différents travaux. Les collaborations sont des expériences délicates mais très enrichissantes. En revanche, l’idée de tapisserie musicale ne me plait pas trop, les installations étant assez compliquées à mettre en place pour que le rapport musique / environnement fonctionne de façon équilibré. Comme l’avait justement souligné un jour Frédéric Druot : on se retrouve souvent, à travers les collaborations, avec d’"heureux malentendus" (!)

Qu’écoute tu généralement comme musique ?
J’écoute tellement de choses différentes les unes des autres que j’ai du mal à trouver des exemples… Mais c’est vrai que chaque époque et chaque moment à son artiste et, en ce qui me concerne, je ne peux pas faire l’impasse sur Martin Gore (Depeche Mode Black Celebration) , Brian Eno (Another Green World) Gabriel Fauré (Requiem) ou encore Claude Debussy (La Mer, Nuages…), pour les plus grosses influences… Sinon j’ai bloqué longtemps sur Ellioth Smith (X.O.) , Sonic Youth (goo) Squarepusher (Hard Normal Daddy) et Grandaddy (The Software Slump) et beaucoup d’autres ! … en ce moment, j’écoute Peter Bjorn And John, Akufen, Helios, Dubtractor et bien sûr les artistes d’eko et skm !

Interview réalisée pour Benzinemag en octobre 2006

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